La sensation d’être incompris fut pour moi l’une des choses les plus difficiles à vivre dans cette maladie.
Mais commençons par le commencement.
Qu’est-ce que l’acharnement thérapeutique ?
D’ailleurs on ne dit plus » acharnement thérapeutique » mais » obstination déraisonnable ».
C’est le fait d’administrer un traitement et/ou de pratiquer un geste médical tout en sachant qu’il n’améliorera pas l’état du patient.
Aucun médecin ne fait ça.
Alors pourquoi entend-on cette expression quand même ?
Ce n’est que mon avis mais je pense que le corps médical emploie ce terme dans nos cas, principalement pour la trachéotomie, lorsqu’il pense que le patient et sa famille ne sont pas conscients de ce qui les attend.
Car il est bien évident que la trachéotomie améliorera l’état du malade, tout comme la gastrostomie.
Améliorer n’est peut-être pas le bon terme, mais ils l’empêcheront d’empirer, c’est certain.
Selon le point de vue de médecins, mais aussi de patients, la trachéotomie, la ventilation et la gastrostomie peuvent être perçues comme une forme d’acharnement thérapeutique. Chacun à sa vision de la vie, c’est un débat sans fin.
Lorsque vous aurez fait vos choix, vous devez les faire comprendre au corps médical. Parfois il sera ouvert, ou parfois hostile, particulièrement concernant la trachéotomie.
Vous devrez expliquer que vous savez où vous allez, que c’est une décision mûrement réfléchie et prise en connaissance de cause.
Que cette discussion ait lieu chez vous, dans le cabinet d’un médecin, aux urgences, en réanimation ou dans un autre service, que ce soit le patient ou un proche qui la mène, qu’il y ait des directives anticipées ou pas, elle devra avoir lieu. Vous devez être compris.
C’est une grande responsabilité pour un médecin de poser une trachéotomie, il veut être certain de ne pas mettre toute la famille en difficulté.
Il doit être rassuré.
Le patient bascule dans une autre vie, tout le monde doit être prêt à ça.
Les directives anticipées ne suffisent pas à ça, choisissez le bon moment, et expliquez-vous.
La première personne à qui vous devez expliquer vos choix de vie est votre médecin traitant, hormis votre famille bien sûr.
Je ne sais plus trop comment on me l’a amené mais le rdv fut pris pour remplir mes directives anticipées où j’ai stipulé ma volonté pour le jour où je ne pourrais plus m’exprimer, celui où ma vie ne pourra plus être garantie par mon corps et qu’il faudra l’aide de machines.
On en avait parlé avec mon épouse mais j’avais bien compris que de poser ça noir sur blanc rassurerait tout le monde.
On s’est donc retrouvé dans ma chambre, ma femme, mon père, le docteur Combes et moi pour ce premier dialogue.
Je m’appliquais à donner un peu de légèreté à tout ça et je me souviens avoir dit au docteur : » je suis musulman, donc si on m’alimente par des tuyaux, pas de cochon hein. »
Ils ont ri.
« Ok pas de perfusion au cochon. » reprit-il.
La chose qui me semblait la plus importante à l’époque était que je ne voulais pas rester seul. Et j’ai bien fait de le signaler, ça m’a permis d’être accompagné de mes proches durant mes deux mois de réanimation. C’était une période difficile et sans eux, je ne sais pas où je serai aujourd’hui.
Mais l’essentiel était bien entendu d’avoir stipulé vouloir vivre jusqu’au bout de la science, quoi qu’il arrive, vivre.
Le message était passé, à mon premier interlocuteur, mon médecin traitant.
Puis le jour arriva d’expliquer mes choix à un autre médecin, inconnu celui-là. Je me suis retrouvé en réanimation en détresse respiratoire aiguë, normal pour ma pathologie.
Le médecin qui nous a accueilli n’a pas compris le projet de vie, faisant comprendre à ma femme un genre de « mais ma pauvre, vous ne vous rendez pas compte ». Un petit clash a eu lieu, où mes choix étaient inaudibles.
Puis un autre docteur a pris le relai.
J’étais à moitié conscient mais je me souviens qu’un dialogue entre mon épouse et le docteur Garnier s’est instauré dans mon box. Il avait besoin d’être rassuré sur notre bonne compréhension des tenants et des aboutissants de ce qui allait suivre.
Une fois rassuré, il m’a regardé en quête de confirmation de ce qui avait été dit et j’ai répondu par l’intermédiaire de mon dispositif oculaire : » on fonce ». Ça je m’en souviens.
Quelques instants plus tard, on m’endormait et c’était parti pour le combo trachéotomie / gastrostomie.
Aujourd’hui, deux ans plus tard, je ne regrette pas une seule seconde de la vie que j’ai depuis. Lourdement appareillé, alité et tétraplégique, mais vivant.
Et heureux.
Expliquez vos choix.