Au moment où le combat démarre, on se prend instantanément un KO. Après de longues semaines de doutes, le diagnostic arrive comme un uppercut. Comme souvent lors d’un KO, on n’a pas vraiment conscience de ce qui se passe, on est sonné. Notre univers, tel qu’on l’a construit, s’effondre. Ce n’est pas tout, ce KO est contagieux et tous ceux qui nous aiment sont également sonnés et déboussolés.
Cet état peut se prolonger pendant plusieurs mois, voire des années. Il peut même ne jamais s’arrêter. Dans un scénario du pire, le décès peut survenir après quelques mois, ce qui infligera un nouveau KO aux proches. Là où je veux en venir, c’est qu’à aucun moment on n’aura été réellement lucide. Non seulement pour prendre les bonnes décisions, mais aussi pour faire entendre sa voix.
Tout un tas d’éléments vont également nous empêcher de retrouver cette lucidité. En premier lieu la colère, liée parfois à un puissant sentiment d’injustice, le fameux « pourquoi moi ? ».
Je me suis déjà longuement exprimé sur ce type de sentiments et la cohorte de négativité qu’ils véhiculent.
« Saloperie de Maladie ! » On ne doit pas la haïr, elle fait partie de nous, elle est bel et bien là.
Essayons plutôt de voir quel monde on peut reconstruire avec elle, grâce à elle.
Comment peut-on faire avancer notre voix, notre cause. Car on nous entend trop peu, on est occupé à autre chose : survivre. Le peu de temps qu’il nous reste, on le consacre à essayer de reconstruire avec nos proches.
Alors qui parle pour nous ?
Pour dire quoi ?
De nombreuses associations composées de gens admirables sont là pour nous aider mais est-on vraiment entendu ?
La recherche avance-t-elle aussi vite qu’elle le devrait ?
Les budgets consacrés sont-ils assez importants ?
Sommes-nous traités dignement ?
N’ayons pas peur des mots, j’ai davantage eu l’impression que c’était « cachez moi ce tétraplégique que je ne saurais voir » plutôt que « que puis-je faire pour vous ? ». Et nous, on est souvent complaisants, on meurt en silence, on s’efface, comme pour ne pas déranger.
On a même choisi un papillon comme emblème. Quoi de plus fragile et éphémère qu’un papillon ?
Ah c’est sûr que c’est beau et poétique mais ça en dit long sur notre état d’esprit, on accepte d’être éphémère, c’est tellement beau. Pendant ce temps on meurt en silence. Les nouveaux diagnostiqués n’ont pas plus de chance, pas plus d’espérance qu’au siècle dernier.
J’ai bien évidemment tout le respect du monde pour les fondateurs de ce concept de papillon et je pense qu’ils étaient d’excellente volonté mais je ne suis pas un papillon, je suis un tigre. Un tigre trachéotomisé et alimenté par gastrostomie mais un tigre quand même. Je refuse de disparaître en silence.
Je n’ai aucune colère, je suis heureux et apaisé mais je ferai tout pour qu’on arrête de disparaître dans le silence.
Tout d’abord, je trouve scandaleux que la majorité du corps médical, neurologues en tête, nous condamnent sans parler de trachéotomie comme une solution. C’est sûr que tout à coup, si des milliers de patients décidaient de vivre avec la maladie jusqu’au bout de ce que la médecine permet, ça coûterait une fortune aux pouvoirs publics, ils se pencheraient peut-être un peu plus sur le financement de la recherche.
À titre d’exemple, je suis en contact avec les biologistes moléculaires focalisés sur la recherche fondamentale du CNRS de Strasbourg. Ils sont en collaboration avec l’université de Harvard pour les essais cliniques. En échangeant par mail avec le directeur de recherche, il m’a appris qu’il n’était pas certain de pouvoir mener jusqu’au bout les recherches par manque de financement. Je lui ai alors demandé de combien ils avaient besoin. Il m’a répondu que pour faire tourner l’équipe pendant deux ans, ça coûtait 28 000 euros (!).
J’étais scotché.
Je ne suis pas naïf, je sais que les vases ne communiquent pas mais c’est le coût de deux mois d’hospitalisation à domicile, le coût d’une semaine de réanimation.
Ce chiffre m’a donné le vertige autant qu’il m’a révolté.
Des peccadilles, voilà ce que nos dirigeants nous octroient. Et nous sommes complaisants, pauvres petits papillons. Mais ce n’est pas qu’une affaire de gros sous, c’est aussi une question d’éthique, de mentalité. Vouloir vivre sans nos muscles est souvent vu comme un acharnement thérapeutique, un non-sens. Pourtant il nous reste ce qui fait de nous des femmes et des hommes, ce qui nous différencie des animaux, notre cœur, notre tête et surtout notre âme.
Serions-nous des abominations sans nos muscles ? Alors où est le non-sens ? Dans ce que l’on veut nous faire croire ou dans cette vérité philosophique et physiologique ?
Personnellement, je refuse cette métaphore du papillon qui voudrait que l’on soit délivré par la mort. Elle induit qu’il n’y a que cette solution pour trouver la paix, ce qui est faux et dramatique en terme d’image pour les nouveaux malades.
Avec cette image, on part perdant, alors que c’est d’espoir qu’on a besoin.
Je suis la preuve vivante que cet espoir n’est pas vain, je suis un malade heureux.
Grogne, petit papillon, grogne.